Retour sur la trajectoire de l’influent homme d’affaires au passé sulfureux qui a été interpellé ce mardi 6 février 2023 dans le cadre de l’enquête sur la mort du journaliste Martinez Zogo.
Au Cameroun, tout le monde en parle. L’émotion est toujours vive. Depuis le dimanche 22 janvier 2023, jour de la découverte du corps en état de décomposition du directeur d’Amplitude FM, la cruauté de l’assassinat de Martinez Zogo est sur toutes les lèvres. L’arrestation de Jean Pierre Amougou Belinga, 58 ans, aux aurores ce mardi 6 février, est à peu près proportionnelle à l’onde de choc qui a secoué le Cameroun lors de la découverte de ce crime odieux.
Jean-Pierre Amougou Belinga de son initial JPAB est régulièrement cité dans cette affaire comme pouvant être le ou l’un des présumés commanditaires de l’assassinat du journaliste Martinez Zogo. Ce que ce magnat des médias et ses avocats réfutent depuis le début. Qui est même cet homme d’affaires prospère, qui est encore présumé innocent dans le cadre de cette affaire qui ne fait que commencer et dont les ramifications sont insoupçonnables.
Jean Pierre Amougou Belinga a un parcours atypique. Né dans une famille très modeste, il a connu une enfance difficile. Vendeur d’eau glacée à la sauvette, il travaille par la suite comme manœuvre à la défunte Société nationale de chemin de fer (Regifercam) grâce à l’entregent de son oncle. Il travaille aussi comme laveur d’assiette puis serveur dans un restaurant, où «il goutte à de la viande pour la première fois de sa vie». Sans fortune, il tire le pousse-pousse à Yaoundé dont il finit par connaître toutes les collines.
A Yaoundé, sa passion pour le monde de la presse est couronnée par sa rencontre avec Georges Gilbert Baongla qui le prend sous son aile. Il s’en sépare sur une question de partage des recettes obtenues en échange des reportages réalisés.
L’histoire d’Amougou Belinga s’emballe à partir des années 1990, quand le Cameroun plonge dans une crise politique sans précédent. Dans les rues, les pneus brûlent devant les barricades de manifestants réclamant le multipartisme et une conférence nationale souveraine. Paul Biya est contesté et la jeunesse béti, le groupe ethnique auquel appartient le chef de l’État, est appelée à défendre le pouvoir.
Jean-Pierre Amougou Belinga devient en 1995 directeur de publication du journal l’Anecdote. Il explique la croissance de ses entreprises aux appuis de l’élite administrative et politique béti – dont Jacques Fame Ndongo- favorable à l’émergence d’un groupe de presse tenu par un homme du sud Cameroun. Ce groupe soutiendrait l’action du gouvernement et viendrait en contrepoids aux groupes privés existants. Du journal l’Anecdote émergera le reste du groupe, avec Satellite FM, Vision 4 Tv, Vision 4 RCA, Télésud, Vision Finance en économie, ISSAM en éducation et ses partenariats avec des gouvernements de Centrafrique et du Congo Brazzaville.
Top 50 des homosexuels
Au Cameroun, ses médias sont en première ligne pour défendre Paul Biya face à l’adversité. Mais ils ont la fâcheuse habitude de se prendre pour un tribunal populaire. En 2006, l’hebdomadaire L’Anecdote avait publié un «Top 50 des homosexuels présumés du Cameroun » : ministres, directeurs généraux, patrons du privé et journalistes furent cités.
Certains, s’estimant calomniés, avaient porté plainte. On s’attendait à une cascade de condamnations. Ce fut une tempête dans un verre d’eau. La justice se montra d’une étonnante mansuétude à l’égard de ce justiciable peu commun. Avec des magistrats aux ordres, il n’a jamais perdu de procès au Cameroun!
En juillet 2019, il visite les travaux de construction des tours jumelles ; futurs sièges du groupe l’Anecdote à Yaoundé. Il annonce, à la sortie de cette visite, la construction d’une bibliothèque Paul Biya de 500 millions de F cfa au sein du campus de l’ISSAM à Yaoundé. En 2020, il rachète Télésud.
Entre temps, mis sur écoute téléphonique, il fait plusieurs fois les choux gras de la presse à cause de ses multiples provocations envers les dignitaires du régime et autres hautes personnalités. Courant août 2020, cet homme d’affaires de 58 ans a été entendu par les limiers de la direction régionale de la police judiciaire de Yaoundé dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de Bryant Formbor, un jeune jet-setteur nuitamment poignardé, le 5 juin, dans une rue de la capitale camerounaise.
Ligne 94, 65 et 57
Dans les faits, Amougou Belinga s’est enrichi grâce à la commande publique, ses entrées au sein des régies financières lui garantissant d’être payé rubis sur ongle quand d’autres fournisseurs de l’État doivent patienter avant de passer à la caisse. Chaque État moderne dispose des marges de manœuvre à travers des lignes non budgétisées. Elles permettent à l’État en cas de nécessité et d’urgence, de ne pas subir des tensions de trésorerie.
En termes simples, il s’agit des liquidités disponibles en permanence. La ligne 94 logée au Minepat et la ligne 65 et 57 relevant du Minfi, font l’objet des appétits démesurés d’Amougou Belinga. Des privilèges que dénonçait très crûment Martinez Zogo, dans ses dernières émissions.
L’entrepreneur a fini par devenir une source d’embarras pour le pouvoir, tant ses déboires ont mis en lumière des mœurs jusqu’ici soustraites au regard et un monde où l’on enregistre allègrement les conversations privées, parfois à des fins de chantage, et où les photos et vidéos intimes deviennent des moyens de pression, le tout sur fond de guerre opposant les baronnies affairistes de la classe gouvernante. Cet homme d’affaires illettré à l’ascension fulgurante pourrait bien voir son outrecuidance conduire à sa chute…
Avec son arrestation, le Cameroun peut entrer dans une zone de turbulence accélérée, si jamais il venait à être jugé et déclaré coupable. JPAB n’est que la face visible d’un système de prélèvement des ressources dans l’intention de jouer une partition importante dans le Cameroun qui vient. C’est une pièce de l’échiquier. Son clan n’a que deux options maintenant : rendre les armes et ou renverser la table.
Ça va dépendre de la marche de manœuvre qui leur reste. JPAB s’en sait beaucoup trop. Il est désormais un enjeu pour les deux camps ; soit pour lui faire changer d’équipe, soit pour sauver le soldat Jean Pierre Amougou Belinga. Entretemps, le peuple demande simplement que JUSTICE soit faite autour du décès de Martinez Zogo.